SYMÉON LE NOUVEAU THÉOLOGIEN

SYMÉON LE NOUVEAU THÉOLOGIEN
SYMÉON LE NOUVEAU THÉOLOGIEN

Révélé à l’Occident depuis quelques années par la collection «Sources chrétiennes» avec la collaboration d’un grand érudit orthodoxe, B. Krivochéine, ce spirituel byzantin qu’est Syméon est, dans l’Orient chrétien, l’un des trois saints qui aient mérité, au sens «visionnaire» du terme, le titre de «théologien». C’est le type même de l’«homme apostolique», qui parle de ce qu’il a vu. Au tournant des deux millénaires, alors que l’Église, en Orient comme en Occident, tendait à se confondre avec la chrétienté, que les rites se figeaient en ritualisme et le monachisme en trop vastes et riches communautés, que, par réaction, se préparait l’explosion, messalienne, bogomile et cathare, d’une pneumatologie dualiste et déracinée, Syméon et ses disciples portèrent témoignage, dans l’Église, de la liberté prophétique et de l’expérience de l’Esprit. Leur insistance sur la conscience personnelle, sur le «père spirituel» librement choisi, quelle que soit sa place dans la hiérarchie, sur l’intériorisation personnelle des Écritures, souligne cette liberté au cœur même du sacrement. La redécouverte de ce véritable «pentecôtisme ecclésial» pourrait aider aujourd’hui l’Occident chrétien à surmonter ses propres déchirements.

Un prophète au destin dramatique

De petite noblesse provinciale, le futur Syméon entreprend avec succès une carrière politique à Constantinople. Mais il est bientôt déchiré entre les passions les plus âpres («j’ai été meurtrier, adultère dans mon cœur, et sodomite en œuvre et en désir») et la nostalgie d’une vie spirituelle qui ne cesse de le solliciter par une expérience «océanique» de la lumière. Tout en poursuivant sa carrière, il devient le fils spirituel d’un studite, Syméon le Pieux, qui développe chez son disciple le goût de l’expérience personnelle. Après une retombée tragique dans les passions, d’où le Christ lui-même, dit-il, «le tire par les cheveux», le jeune homme, à vingt-sept ans, devient novice à l’ombre du maître dont il prend bientôt le nom. Sa vie spirituelle se purifie, s’approfondit, l’amène à une communion personnelle avec le Ressuscité qui lui parle, par l’Esprit, «dans le cœur» et transfigure tout son être. Illuminé, Syméon se sent obligé de faire rayonner la lumière. Il va devenir l’écrivain admirable, le poète d’une véritable «érotique divine», des Catéchèses , Actions de grâce , Traités et Hymnes , où, fait exceptionnel en Orient, il multiplie les données autobiographiques, non par complaisance, mais pour le partage. Élu à trente et un ans supérieur du monastère de Saint-Mamas, il devient aussi le rénovateur de la vie monastique et, dans de larges milieux laïcs, le prophète d’une expérience chrétienne renouvelée.

Pour lui la vie éternelle commence ici-bas; l’Église reste cette communauté de vivants dont parlent les Actes des Apôtres et dans laquelle les dons de l’Esprit sont prêts à foisonner. Mais sa volonté de briser les cloisonnements entre ministères et charismes, entre expérience personnelle et vie communautaire des moines, voire entre monachisme et vie dans le monde ne tarde pas à déranger. Syméon affronte fièrement les plus hautes autorités ecclésiastiques et les exhorte au repentir. Il doit renoncer à sa charge et s’éloigner. En 1009, il se fixe sur la rive asiatique du Bosphore, avec quelques disciples. Il n’écrit plus, semble-t-il, que des hymnes. Déjà réhabilité de son vivant par le patriarche, il fut canonisé moins d’un demi-siècle après sa mort, l’Église se reconnaissant donc dans son témoignage.

Le baptême d’Esprit

Le message du Nouveau Théologien s’adresse à tous, y compris à «ceux qui vivent au milieu du monde». Syméon ne s’attarde pas à nuancer les degrés de contemplation. Pour lui, tout homme qui «retourne son cœur» peut éprouver «soudain» l’expérience de la foi. L’Esprit repose sur l’Église comme corps sacramentel du Christ. Mais le baptême n’est rien s’il n’est actualisé par une naissance consciente dans l’Esprit; l’eucharistie n’est rien si nous n’éprouvons pas que le Christ, en nous incorporant à son corps comme paille dans le feu du Buisson ardent, rencontre et accueille chacun dans un échange quasi nuptial. À l’intériorisation des «mystères» correspond celle des Écritures, car «l’homme qui est entré dans la familiarité de Celui qui a inspiré des Livres saints [...] devient lui-même pour les autres un livre inspiré qui porte, inscrits du doigt même de Dieu, les mystères anciens et nouveaux [...]. Dans le premier baptême [...], l’onction d’huile préfigure l’onction intérieure de l’Esprit; mais le second baptême n’est plus la figure de la vérité, c’est la vérité même»: le témoignage des Apôtres se multiplie dans celui des «hommes apostoliques» qui prennent place dans la «chaîne d’or», dont les premiers maillons s’appellent Paul, Étienne, Jean à Patmos...

Antinomie apophatique et déification du corps

Toute la vision théologique de l’Orient chrétien est rendue par Syméon en termes directs et brûlants, dans le verbe de celui qui «vit ce dont il parle». Ses chants d’amour en particulier sont structurés par l’antinomie apophatique de l’abîme et de la croix. Il part d’une expérience du sans-limites; il se sent «déposé au milieu d’un abîme infini d’eaux lumineuses». Mais, du fond de l’abîme, l’Amour-en-Personne vient à lui: «Je suis le Dieu qui pour toi s’est fait homme. Et parce que tu m’as recherché de toute ton âme, voici que désormais tu seras mon frère, mon cohéritier et mon ami.» Ainsi le balancement ineffable: «Ô Essence cachée [...], comment as-tu souffert comme un malfaiteur? Tel est ton amour pour les hommes, pour tous, fidèles, infidèles, païens, pécheurs et saints.» Alors, le cœur «se retourne» dans les larmes; et l’homme, mesurant sa «dissemblance», traversant un véritable «jugement», s’unifie peu à peu dans ce cœur où «se lève le Soleil divin», où sens et facultés s’intègrent en une «sensation unique», de sorte que l’«audition devient vision et la vision audition». Christifié, pneumatisé, l’homme est introduit dans le Royaume qui n’est autre que l’amour trinitaire: il devient «le pauvre qui aime ses frères».

Syméon insiste sur la déification du corps, par participation au Corps christique, eucharistique, «tout fulgurant du feu de la divinité». L’homme est christifié jusque dans son sexe, il ne voit que le Christ dans la nudité des corps, il célèbre, dans son union avec son Seigneur, la grande nuptialité du Christ et de l’Église, de Dieu et de tout l’éros de la terre appelé à l’illumination. Il y a ici des accents qui font penser à ce qui pourrait être un tantrisme chrétien. D’autant que la perspective a une dimension cosmologique, le destin de l’univers se trouvant déterminé par les relations de l’homme et de Dieu.

L’expérience spirituelle, tendue vers la parousie, l’anticipe déjà en partie: «Je sais que je ne mourrai pas puisque je suis au-dedans de la vie et que je l’ai sentie tout entière qui jaillit au-dedans de moi [...]. Pour ceux qui marchent toujours dans la lumière, le Jour du Seigneur ne viendra jamais car ils sont toujours avec Dieu et en Dieu.»

Encyclopédie Universelle. 2012.

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